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Un « Dictionnaire amoureux de la laïcité » à la sauce Front de Gauche

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Lettre ouverte à Henri Peña-Ruiz à propos de son « Dictionnaire amoureux de la laïcité »

Cher monsieur,

Il y a quelques mois vous avez publié, dans la fameuse collection des Dictionnaires amoureux, celui de la laïcité. Il paraît que vous êtes, sur cette question, un philosophe réputé – qui d’ailleurs a beaucoup écrit. Il paraît également que vous êtes un partisan du Front de Gauche ; ce qui, dans un premier temps, m’interroge tout de même. Notamment parce que le courant idéologique qui a votre affection entretient avec la laïcité et les thématiques périphériques – anticléricalisme et athéisme en tête – un degré d’intimité que je pense ni capable ni désireux d’agir en modérateur des ardeurs d’un homme qui, pour parler de laïcité, a pris tour à tour l’habit du philosophe et celui de Cupidon.

Votre Dictionnaire amoureux de la laïcité réserve quelques pages à Etienne Dolet, auteur, traducteur et imprimeur de la première moitié du XVIe siècle. Vous écrivez qu’il est mort « brûlé vif » ; ce n’est pas exact. Il a été préalablement étranglé et c’est son corps sans vie que l’on jeta aux flammes. Nous pourrions, magnanimes, vous accordez un droit à l’erreur factuelle mais quiconque s’est renseigné sur l’échelle des peines infligées par les tribunaux inquisitoriaux sait que la mort par le feu homicide et la crémation d’un corps sans vie étaient deux peines distinctes, c’est-à-dire résultant de jugements variables en sévérité. Il est vrai qu’écrire « brûlé vif » renvoie plus efficacement à cet imaginaire émotif qui, dans votre famille idéologique, fait office de paradigme.

Deux lignes n’ont pas le temps d’arriver à terme qu’une autre erreur tombe : vous le faites naître à Lyon en 1509. Peut-être un homonyme ? Car notre homme est bel et bien né à Orléans – l’année est bonne.

Étienne Dolet.

Étienne Dolet.

Vous dressez un portrait d’Etienne Dolet qui satisfait mieux les exigences d’une certaine lecture historique que celles de la réalité factuelle. Tout votre portrait est martyrocrate : Dolet est nécessairement une victime, c’est à la fois votre appréciation et votre conclusion. Pour les appuyer, vous avez sur les évènements qui émaillent sa vie une approche fautive à deux égards au moins ; d’abord parce qu’elle est anachronique – et j’ajoute incomplète -, ensuite parce qu’elle postule que notre homme, pour avoir ainsi péri, doit moins sa mort à ses erreurs qu’à la malchance qu’elles aient été ainsi définies par le tribunal inquisitorial. En témoigne la seule ligne que vous réservez au meurtre, par Dolet, du peintre Compaing : « En 1536, au cours d’une rixe, il tue un peintre nommé Compaing », et d’ajouter ensuite qu’il obtient, du fait de ses relations, la grâce royale. Envoyer un homme ad patres n’est pourtant pas un évènement banal, y compris à cette époque, et que vous n’imaginiez pas possible que ce crime ait pu, au moment où Dolet sera en position critique, peser contre lui – notamment parce que la famille du défunt, scandalisée que le crime soit resté impuni, vient ajouter ses doléances quand la parole lui sera enfin donnée – est étonnant. Vous répondrez que l’acte d’accusation du Tribunal ne reproche pas au futur accusé ce crime mais les activités qui ont fait conclure à son hérésie. Avez-vous néanmoins considéré que le dossier Compaing, en l’état inexistant car classé sans suite, ait pu tout de même peser dans les délibérations même si, par respect pour l’autorité d’une grâce royale, les juges n’en firent point mention publique car le faire eût équivalu à une remise en cause d’une décision du roi ?

Je vous cite :

« Mais le dernier procès instruit par l’Inquisition va très mal tourner. Il se déroule de 1544 à 1546 et reprend toutes les accusations antérieures, en les aggravant par référence à la publication d’un dialogue attribué à Platon, traduit par Etienne Dolet, intitulé Axiochus. On y lit, à propos de la mort qui signe la fin de la condition humaine, la phrase suivante : « Après la mort, on n’est rien du tout ». Il n’en faut pas plus pour parachever la démonstration de la vertigineuse culpabilité de l’imprimeur traducteur ! Voilà confirmée son impiété foncière. Nier l’au-delà ! Bien sûr, l’Inquisition prête à Dolet lui-même l’opinion qu’il n’a fait que traduire. Il ne vient pas à l’idée de ces gens qu’un imprimeur éditeur puisse publier autre chose que ce avec quoi il est d’accord ». (page 332).

Il y a, dans ce court extrait, autant de non-sens que d’erreurs historiques. Etienne Dolet, en traduisant ce dialogue attribué à Platon, n’est pas reconnu coupable d’avoir seulement traduit un texte mais d’avoir pris avec lui des libertés très personnelles. C’est en effet lui, de son propre chef, qui décide d’ajouter « rien du tout » à la phrase « Après la mort, on n’est plus rien du tout ». Cet ajout n’est pas, comme le disent les mythologues du récit doletien, « trois petits mots de rien du tout qui signent son arrêt de mort », c’est un travestissement du sens originel du propos doublé d’une faute professionnelle et d’une provocation. Si, pour notre époque, pareille querelle semble incompréhensible, il faut rappeler que nous sommes en un temps où l’on ne badine pas avec le sens des mots – qui plus est lorsqu’en pratiquant le métier d’imprimeur par autorisation nominative du roi, c’est l’autorité royale que l’on engage aussi dans son travail.

Ajoutons que l’épisode de la traduction fautive n’est pas l’acte qui concentre et résume le ou les chefs d’accusation contre Dolet, mais plutôt – pour le dire familièrement – la « goutte d’eau qui fait déborder le vase ». À ce moment de sa vie, notre homme a été plusieurs fois mis en garde contre les libertés qu’il prenait vis-à-vis de la loi, en publiant par exemple des textes illégaux. Plusieurs séjours en prison, plusieurs procès et plusieurs interventions du pouvoir pour le gracier n’ont pas empêché Dolet de se mettre une fois encore en contradiction avec la loi. C’est d’ailleurs l’accumulation de ses provocations qui vont conduire l’autorité royale à mettre un terme à la protection qu’elle accordait jusqu’à présent. Ce n’est donc pas cette phrase qui conduit Dolet à la sanction suprême mais une longue série d’infractions à la loi de son temps. Aujourd’hui, nous dirions un récidiviste.

Vous ironisez sur le fait qu’il « ne vient pas à l’idée de ces gens qu’un imprimeur éditeur puisse publier autre chose que ce avec quoi il est d’accord », pourtant en parlant du « dernier procès », vous admettez que d’autres ont précédé, c’est-à-dire que Dolet, en la matière, n’est pas « inconnu des services de police ». Dès lors, s’il « ne vient pas à l’idée » des juges, c’est en l’occurrence que les juges, qui ne voient pas la trombine de Dolet pour la première fois, savent à qui ils ont affaire. Qui plus est, quand bien même notre imprimeur ne partageait les idées qu’il traduisait et diffusait, le fait de diffuser des idées et des textes interdits n’en constituait pas moins un délit ! Lorsque vous écrivez, à l’immédiate suite de l’extrait ci-dessus : « Cette fois-ci, Dolet est condamné. Une simple opinion sur l’au-delà lui coûte la vie », vous m’étonnez et me décevez.

Étonnement car en quelques lignes seulement, Dolet passe du statut de traducteur qui, professionnel, traduit des opinions sans y adhérer forcément, au statut de martyr de la pensée, condamné à mort pour « une simple opinion » qui devient subitement la sienne. Déception car parler, à propos d’un sujet aussi précieux à l’époque que l’au-delà, d’une « simple opinion », c’est dévoiler d’une part une bien maigre compréhension des enjeux et du contexte, d’autre part que le livre a moins été écrit par un philosophe que par un militant du Front de gauche.

Jonathan Sturel

Adhérer

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